Diane Roissard

Diane Roissard

 

Formation
Econométrie-Statistiques / parcours IRF

Poste
Analyste ESG / LBP AM

Animateur
Inès Pelenc

Peux-tu commencer par te présenter ?

J’ai suivi une formation M2 Ingénierie Financier (IRF en 2017). Je ne suis pas actuaire, je me suis réorientée sur la Finance durable ; contrairement à un gérant d’actifs qui fait de la gestion de portefeuilles sur les marchés financiers, mon équipe s’intéresse aux critères extra-financiers, autour de l’ESG (Environnement Social et Gouvernance) ; son objectif ce n’est pas de regarder les données financières des entreprises (CA = Chiffre d’Affaire, ventes réalisées, …) mais de s’intéresser aux pratiques des entreprises dans lesquelles on investit ; on s’interroge sur le fait de savoir si nous investissons dans des entreprises qui polluent beaucoup, qui émettent beaucoup de CO2, … (sur un volet Environnement)  ou dans des entreprises qui font faire du travail forcé, payent partiellement leurs impôts, …  (sur un volet Social ou gouvernance).

Ces critères extra-financiers engendrent également des risques financiers pour les entreprises car elles peuvent avoir des pénalités légales ou des impacts sur le Chiffre d’Affaires.

A titre d’exemple, en identifiant qu’une entreprise est très dépendante de l’eau pour son fonctionnement, nous pouvons identifier un risque en cas de pénurie d’eau (liée à des sécheresses), cela va impacter son CA.

En synthèse, je fais donc de la gestion des risques sur ce volet environnemental et sur plein d’autres choses liées à ces thématiques. C’est donc bien en lien avec ce que l’on a étudié à l’ISFA mais ce ne sont pas directement les métiers auxquels tu es prédestiné quand tu en sors.

 

Tu as intégré une école d'ingénierie informatique (EPSI) en 2014, pourquoi tu t’es finalement tournée vers une formation à l’ISFA en 2015 ?

Je voulais retrouver la composante Mathématiques et Finances et avoir un côté plus appliqué à l’informatique ; pas faire de l’informatique pour l’informatique mais faire de l’informatique pour une autre fin et en l’occurrence pour la finance.

 

Quelles sont les convergences et les complémentarités entre tes deux formations ?

Il y avait clairement des convergences, notamment autour des cours d’informatique (AIR, SAS, peut-être de VBA) ; certaines matières se regroupaient ; mon « bagage informatique » m’a servi car il y a une certaine logique qui est répliquée dans tous les langages de programmation ; j’ai donc pu m’en servir dans la mise en application en entreprise  de ce que l’on apprend en théorie à l’ISFA ; on a besoin de l’informatique pour mettre en application certaines notions de finance étudiés à l’ISFA.

Lors de ma formation à l’ISFA, il n’y avait pas de cours de Python, contrairement à aujourd’hui, et c’est franchement dommage car très utile en entreprise ; je vois tous mes collègues qui codent en Python, que je ne connais pas bien.

 

Ta formation t’a clairement aidé dans l'accomplissement de tes différentes missions mais sur quel(s) point(s) t'as t-elle été la plus utile ?

Cette formation m’a été utile, déjà pour les connaissances sur le volet de la gestion de portefeuilles et la gestion des risques financiers que j’exploite au quotidien. Après, moi dans ma spécialité, il n’y a pas forcément de cours aujourd’hui ; il y a des masters qui commencent à se monter sur le volet extra financier  mais cela reste très limité ; en revanche, on peut clairement faire des liens entre certaines notions que je vois aujourd’hui dans mon métier et les cours appris à l’ISFA ; avec peut-être plus de liens directs dans mes précédents emplois.

Depuis le moment où que j’ai été diplômé : mon premier travail a été inspectrice à l’inspection générale. Mes missions étaient de faire l’évaluation de la qualité de modèles de risques de taux ; c’est clairement là tout ce que l’on apprend à l’ISFA et donc pour le coup, ça m’a été extrêmement utile.

Ensuite j’ai complètement changé, j’ai pris un tournant à 180° et j’ai fait de la gestion de patrimoine, ; là, le côté mathématique était un peu moins utile mais les bases en Finance de marchés m’ont été utiles pour le côté gestion de portefeuilles.

Enfin, dans mon emploi actuel (Asset Management), on retrouve encore une fois les mêmes points : tous les cours de gestion de portefeuille, de théorie de portefeuille, etc. … Il est très intéressant de comprendre le fonctionnement et les rouages d’un gérant de portefeuilles, et de voir comment mes actions peuvent s’inscrire dans cette gestion de portefeuilles.

 

En 2020, tu as travaillé dans un cabinet de conseil en management, pourquoi ce choix et que t- a-t-il apporté ?

J’ai travaillé dans 2 cabinets de conseils différents avec 2 activités différentes ; un premier cabinet de 2017 à 2020, puis un second de 2020 à avril de cette année. Le dernier cabinet dans lequel j’ai travaillé est un cabinet de conseil en finance où j’étais consultante. Les consultants sont envoyés ponctuellement en mission chez les clients ; au lieu d’être en CDI dans une entreprise, c’est un peu comme de l’intérim pour apporter un coup de main sur certains sujets donnés.

Je suis entré dans ce cabinet parce qu’il m’offrait l’opportunité de commencer en Finance durable alors que je n’avais pas nécessairement d’expériences là-dedans auparavant ; ils m’ont donné cette opportunité là.

Initialement je voulais faire du conseil afin de voir une multitude d’entreprises pour un temps donné (celui de la mission) et pouvoir ainsi changer d’entreprises et de missions afin de varier et d’enrichir mes expériences professionnelles, tout en étant toujours salarié de la même entreprise ; en changeant d’entreprises (Société Générale, Crédit Agricole, etc.), tu changes de fonctionnement et d’environnements et tu apprends plein de choses.

Ma principale motivation pour intégrer ce type de cabinet était là, sauf que ce n’est pas ce qui s’est réellement passé ; en fait, je suis arrivé en mission à la Banque Postale – Asset Management en octobre 2020 jusqu’en avril 2022 puis j’ai été embauché directement par la Banque Postale qui était content de ma mission ;  je suis donc passé directement salarié chez eux sans jamais changer de client ;

Mais cet emploi m’a clairement offert l’opportunité de réaliser une transition vers la Finance durable, me permettant ainsi d’aligner mes convictions personnelles pour la défense de l’environnement avec mon métier dans la finance.

 

Peux-tu m’en dire plus sur ton travail actuel à la Banque Postale Asset Management et notamment sur les grands enjeux sociétaux et environnementaux et sur le concept de "Biodiversity Lead" ?

Mon travail actuel à la banque Postale est « ESG Quant Analyst », en français « référent biodiversité » : en tant qu’analyste ESG (toujours pour Environnement, Social et Gouvernance), tu as généralement une spécialité. ; soit sur les droits humains, soit sur la gouvernance, soit sur l’environnement.

La gouvernance s’intéresse à identifier comment l’entreprise est gérée ? Comment sont attribués les salaires ? Comment l’entreprise gère leur fiscalité, leurs impôts ? Est-ce que leurs comptes sont bien audités ? … La gouvernance adresse donc la gestion d’entreprise.

Le social s’intéresse aux droits humains, aux droits du travail et aux conditions de travail (emploi d’enfants, travail forcé, …).

Enfin le dernier volet porte sur l’environnement sur lequel je travaille actuellement. Sur ce volet environnemental, il y a deux 2 grandes familles :

  • La famille du climat qui s’intéresse aux émissions de gaz à effet de serre, au changement climatique (sous les feux de l’actualité en ce moment), etc.
  • La biodiversité qui constitue le capital naturel, les ressources naturelles avec des problématiques autour de la préservation de l’eau, les sols, tout ce qui touche à la forêt pour éviter la déforestation, aux espèces en voie de disparition, la pollution, les constructions excessives (ne pas bétonner trop), …. ; toutes ces problématiques font partie de ma spécialité.

Je vais donc regarder par le biais de certaines données, pour toutes les entreprises par lesquelles on investit au travers d’actions ou d’obligations sur les marchés financiers, leur impact sur la biodiversité ; admettons que nous investissions chez Total Energies, notre travail consiste à identifier si au travers de tel ou tel projet, cette entreprise détruit la biodiversité et de quantifier cette destruction au travers par exemple de leurs puits de pétrole dans des zones protégées, etc. A partir de ces données-là, l’idée est d’arriver à ce que je calcule, par le biais de nos investissements, combien nous détruisons de biodiversité. Cet objectif est ardu ; évaluer quel est notre impact à nous, en tant qu’investisseur ; lorsque nous investissons dans une entreprise, admettons en détenant 10% de son capital, le fait de détenir de 10% de ses actifs, si par exemple, l’entreprise rase 100 km2 de forêt, nous sommes en tant qu’investisseur, responsable d’avoir rasé 10 Km2 de forêt. C’est ce type de réflexion que nous menons pour évaluer notre impact sur l’environnement.

Dans un second temps, notre rôle est de mettre, dans la mesure du possible, des gardes fous, des limites à nos investisseurs, c’est-à-dire nos gérants de portefeuille en validant ou non les entreprises dans lesquelles nous investissons. Si telle entreprise fait vraiment n’importe quoi, nous n’allons pas investir dedans. Il faut que nous déterminions les limites au-delà desquelles cette entreprise a un impact tellement néfaste sur l’environnement que nous, en tant qu’investisseur, nous choisissons de ne pas y investir pour protéger notre réputation et par conviction aussi pour la protection de l’environnement. Ce travail traite également les risques financiers par rapport à des entreprises dans lesquelles nous n’allons pas investir. Ça c’est ce que nous appelons l’exclusion, c’est-à-dire que nous excluons une entreprise en mettant des interdictions ; nos investisseurs n’ont alors pas le droit d’afficher cette entreprise.

Une troisième action porte sur l’engagement actionnarial : quand tu es actionnaire d’une entreprise, que tu détiens une partie de son capital ; tu as du coup un droit de regard de ce qui se passe dans l’entreprise ; je peux donc être amener à échanger avec les entreprises, en appelant par exemple le PDG de Michelin pour lui dire que nous avons évalué que leurs pneus, faits en caoutchouc qui vient de la forêt amazonienne, sont responsable de la destruction de pans de forêt et que nous ne sommes pas d’accord avec cela ; ce serait bien que cette entreprise fasse autrement pour produire ses pneus ; nous allons alors lui expliquer ce qui est attendu de sa part et lui fixer une date limite (deadline) pour qu’il mette en place des changements ; nous lui rappelons alors que si rien n’est fait, nous exclurons son entreprise : les 5 ou 10% de son capital  que nous détenons, nous les vendrons avec un impact sur sa valeur qui risque de chuter. Nous essayons, comme cela, d’initier des changements dans les pratiques des entreprises.

Nous pouvons donc parler de « lobbying environnemental » où nous essayons d’impulser du changement. Je suis donc sur le volet de la biodiversité, mais j’ai des collègues qui sont sur les droits humains, ou sur la gouvernance et qui cherchent également à influencer et modifier dans ces entreprises, leur pratique en interne.

Enfin, je participe à beaucoup de groupes de travail notamment autour de la partie, plus quantitative, des données, où nous essayons de quantifier l’impact d’une entreprise ; même si cela peut paraître simple sur le papier, en réalité cela reste très compliqué car il y a une multitude de points de données à agréger.

Beaucoup d’entreprises ne vont pas avoir les moyens de calculer cet impact là ; nous allons donc avoir des données manquantes ou de mauvaise qualité. De plus, selon la région du monde (en Asie ou aux US), ils n’ont pas la même façon de calculer. Il y a donc beaucoup de travaux à mener, notamment sur le volet des données ; cela se rapproche de certaines pratiques que j’ai appris à l’ISFA sur la gestion des données et pas mal aussi sur la gestion des risques financiers parce que encore une fois, une entreprise qui ne fait pas attention à la biodiversité, au-delà des effets sur la nature, peut avoir aussi des répercussions sur elle-même ; une entreprise peut être très dépendante de l’eau pour sa production, comme par exemple les centrales nucléaires qui ont besoin d’eau pour être refroidies ; quand il y a une sècheresse, comme cet été, des centrales sont à l’arrêt car elles ne sont pas assez fournies en eau. Là, forcément, l’entreprise qui détient ces centrales nucléaires qui ont besoin de l’eau pour les faire fonctionner et produire l’électricité, voit son CA diminuer puisque les centrales sont à l’arrêt. C’est donc sur ce type de situation que ces entreprises doivent anticiper en faisant eux-mêmes une analyse de leurs dépendances au capital naturel, etc. Je travaille donc à déterminer ce type de risque et à le faire entrer dans le modèle de gestion des risques en essayant d’évaluer, si tel ou tel paramètre change, ce que cela peut créer comme évolutions sur la valeur de l’entreprise.

Les groupes de travail cherchent à mener cette réflexion. Avec d’autres investisseurs, nous essayons de partager des bonnes pratiques en identifiant ce qui nous semble être bien à appliquer avec à la clé une certaine « efficacité ».

Après pour les données des entreprises, souvent nous avons des clauses de non-divulgation où en fait certaines informations seront données à certains investisseurs et pas à d’autres.

Il y a beaucoup de politique derrière tout cela, que je ne maitrise pas nécessairement. Sans comprendre toujours les enjeux, nous n’avons cependant pas le droit de communiquer certaines informations ; à partir de celles que nous pouvons communiquer entre nous, nous avons ajuster nos modèles et nous avons ainsi pu, par exemple, partager la déforestation engendrée par nos investissements ;  nous pouvons comme cela partager et essayer d’affiner nos modèles à travers nos échanges sans se donner des informations précises sur les données des entreprises ; cela nous permet de partager des idées ou des pistes de travail.

 

Au travers de tes différentes expériences professionnelles, en quoi la culture des entreprises où tu as travaillé a-t-elle eu un impact sur ta façon de travailler ? As-tu noté des différences structurelles entre ces entreprises qui ont changé de façon significative ta manière de travailler ? Les enjeux sociétaux et environnementaux sont-ils appréhendés/intégrés au même niveau dans ces différentes entreprises ?

Ces différences entre les entreprises est pour moi un critère majeur ; c’est l’un des premiers critères que je regarderai aujourd’hui si je devais changer d’entreprise. La culture du travail dans l’entreprise est primordial pour moi  ; il y a encore des entreprises qui sont sur un système de présentéisme dans lequel tu dois être là d’une heure fixe à une heure fixe même si tu n’as rien à faire ; ça pour moi, c’est rédhibitoire ; il me semble indispensable de nous laisser une certaine flexibilité et je n’adhère pas, non plus, à un management très autoritaire. L’entreprise dans laquelle je suis aujourd’hui offre beaucoup plus de flexibilité avec une confiance instaurée entre ma manager et moi, laissant plus de place à la prise d’initiatives, aux suggestions ; J’ai d’ailleurs une excellente proximité avec la PDG de l’entreprise : en tant que simple analyste, sans grade au sein de mon entreprise, j’ai l’opportunité d’échanger régulièrement avec la PDG de l’entreprise, la PDG de l’d’Asset management. C’est très enrichissant avec un aspect presque familial laissant beaucoup de place à l’échange entre nous ; il y a une grosse ouverture sur tout ce qui est RSE (Responsabilité Sociétale et Environnementale) au sein d’une entreprise qui a des valeurs et cela, pour moi, c’est super primordial.

Avant d’entrer dans cette entreprise et avant le cabinet de conseil même, j’ai été 2 ans en tant indépendante  où je travaillais comme profession libérale, donc à mon compte ; j’ai alors été rattaché à un cabinet où il n’y avait pas du tout la même ambiance ; il y avait beaucoup d’esprit de compétition mais pas dans le bon sens du terme ; c’était une approche compétitive qui ne te tire pas vers le haut mais plutôt dans un sens qui a tendance à te rabaisser un peu ; c’était assez malsain. La compétitivité c’est bien quand ça unit les gens, pas quand ça les divise. Ce point est aussi très important pour moi ; si je devais changer d’entreprise encore une fois, c’est un des premiers critères que je regarderai : l’ambiance d’équipe, la qualité du management, ainsi que les valeurs de l’entreprise. Ce sont 3 points primordiaux pour moi.

 

Qu’est que peut apporter le monde de la finance sur le monde de l’assurance ?  Y-a-t-il des convergences entre les 2 ? Des activités plus informatiques comme le « Machine Learning » pourraient-elles se développer en assurance ?

Je n’ai jamais travaillé en assurance ; donc je vais te donner mon avis mais qui ne sera peut-être pas très précis. Je pense que l’assurance a une vision de la gestion des risques différente de celle de la finance et est beaucoup plus précurseur sur certains points très pratiques.

Moi, je vais te parler de mon métier, je n’aurais peut-être pas une vision globale ; l’assurance a été très précurseur sur les risques climatiques ; sur tout ce qui va être évènements climatiques extrêmes (les crues d’un fleuve, …) qui peuvent détruire un bâtiment, interrompent une activité, etc. et cela peut avoir de gros impacts pour une assurance. Sur les risques environnementaux, ils ont un train d’avance gigantesque ; en finance, cela n’émerge que depuis 2 ans. Aussi dans sa gestion d’actifs, je pense que l’assurance est plus une vision plus long terme que la finance ; la finance a tendance à avoir un côté très rendement court terme, qui peut, je pense, nous desservir dans nos objectifs à long terme.

Pour ta question sur le Machine Learning (ML) je peux te dire que la « Block Chain » peut prendre de l’importance côté Finance car cela permet de remonter à l’origine d’un produit ou d’un service ; là où des fois le suivi et le traçage est plus compliqué avec les méthodes traditionnelles. Le ML et L’IA peuvent aussi être intéressants pour le traitement de données, notamment sur tout ce qui est news sur les réseaux sociaux, Twitter, … Des fournisseurs de données se penchent là-dessus ; ils essaient de donner des sentiments de marchés. Ils étudient l’impact qu’une « news », que ce soit une « fake news » ou pas (« tweet »), peut avoir sur la valeur d’une entreprise et son évolution de valeur sur le marché. Des « tweets » ont fait exploser le cours de certaines crypto-monnaies ou au contraire les ont fait descendre en l’espace de quelques secondes. Je ne m’y connais pas assez pour t'en parler en détail mais je pense que cela peut être très bien capté par le ML, l’IA et par le « scrapping » de données.